We have a great review for Matter’s LP “Biorhexistasy” by French zine SWQW.
Text is below (French version).
Original review page is here: http://www.swqw.fr/chroniques/musiques-electroniques/matter-biorhexistasy.html
L’érosion punit la montagne d’avoir voulu s’élever vers le ciel. (Sylvain Tesson – Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages)
On expose beaucoup les musiciens expérimentateurs italiens ces temps-ci. Et c’est loin d’être fini. Si Fabrizio Matrone n’est pas un débutant dans le milieu, ceux qui avaient suivi ses débuts sur Sine3pm et Le Petit Machiniste (référence industrielle pour certains, même si beaucoup moins active depuis deux ans) savent que sa musique a déjà subi plusieurs mutations. Comme son confrère français Sylvgheist Maëlström (la complémentarité artistique est à mon avis évidente), il s’intéresse depuis toujours aux dérèglements naturels et à ce qu’il conviendra d’appeler “l’infection de l’organique”. Biorhexistasy est sa deuxième fournée pour le label ukrainien Kvitnu, qui héberge déjà en son sein des gens comme Plaster ou Sturqen, et dont les artworks réalisés par l’inspirée Zavoloka valent toujours le détour.
J’avoue avoir été un peu méfiant jusqu’ici vis à vis de ce qui sortait de chez eux. Avant tout parce que je trouve que Plaster (et d’autres) peinent encore à installer une qualité constante sur long format, et aussi peut-être parce que je ne surveille pas avec le même oeil les labels qui se concentrent beaucoup sur les EP et le format digital. L’ouverture à l’édition vinyle et la participation de Kirdec (personnage passionnant et atypique de la scène industrielle) au mastering ont sans peine achever de me convaincre d’y jeter une oreille béante.
Si j’ai bien compris (bien traduit le dossier de presse), la Biorhexistasy est une théorie qui décrit les conditions climatiques qui favorisent la période de formation de sols divisés par les cycles d’érosion. Le concept est peut-être un peu trop apparent pour qu’on en garde finalement que l’aspect strictement métaphorique. On aurait bien tort. Matter illustre à merveille des glissements de terrains sonores qui ne plaisent pas du tout à mes voisins du dessous.
La vraie performance tient dans le fait de déployer une grosse force de frappe sans jamais dépasser les 120 BPM. Si ce style de techno a le vent en poupe depuis déjà quelques temps, la trop grande rigueur rythmique et la répétitivité inhérente au genre ont installé à mon sens la fusion “power/rythmic nosie” dans un dédale gratuitement kilométrique, dont nul ne semble posséder la clé de sortie. Matter ne la cherche pas, il préfère imploser la voute des chapelles pour y couler de nouvelles friables fondations. Ou même contempler le spectacle de la désolation. Pour attendre que le temps redonne à la poussière des envies d’épopées guerrières. Laisser enfin germer, ce qui ne fait que bouillir dans les entrailles de la terre.
Privilégier le contraste au tempo, la chirurgicale architecture des réactions en chaînes à l’empilement compulsif. Cet album pourrait servir de manuel et de cas d’école. Parce que putain, qu’est-ce que ça dégage comme puissance sur une belle installation ! A un volume poussé à s’en abrutir, l’auditeur est susceptible de ressentir le bouillonnement de ses propres fondements. L’esthète ne vomit pas, il retient ce qui veut se déliter.
Il apprécie à sa juste valeur de voir sa Surface passée au chalumeau, les spectres se boursouffler sous l’assaut des expirations de turbines insatiables lors de Layers ou Phases. De se faire dépigmenter l’écorce avec bonheur, par les kicks incisifs, les signaux d’alerte et les blasts incendiaires d’un Biostasy, comparable à un réel éboulement intérieur. Et tout ça avant que Dominance et son aspirateur à particules fines ne ferment une première partie déjà bien intense, comme un interlude scannant les globules rouges qui tentent de se faire la malle.
Exposure (meilleur titre du LP à mon avis avec son suivant) reprend le thème précédent pour mieux nous drainer le sang. Le genre de truc qui ouvre le sol en deux et qui te demande de choisir ton camp. C’est kafkaïen. Un peu comme sauver ta vie face au conclave de graves abyssales inspirant la terreur, ou sauver tes chats de hautes fréquences blanches qui leur donnent des envies d’ailleurs (putain d’Attrition). Bouge tes cheveux si tu veux pas les perdre, le forcément trop court Sub Soil veut te grignoter le cuir par la racine. Grain clôturera le festin, avec son épendage de sédiments propices à la formation d’une nouvelle espèce d’amphibiens.
Mixée et réalisée d’une main de maître, cousue de splendides compressions et distorsions, Biorhexistasy est à n’en pas douter une oeuvre majeure de cette année. Sur la route qui mène de Stroboscopic Artefacts à raster-noton, Kvitnu est plus que jamais une étape à respecter. Pour 16 boules (pour le LP, frais de ports inclus), voilà qui vaut bien le coup de cramer quelques ampoules.